J’ai crié : « Le cœur enivré, où s’en va-t-il » ?
Le Roi des rois répondit : « Silence. Il vient vers nous ».
J’ai dit : « Tu es uni à moi. C’est en moi-même que tu parles.
Alors, pourquoi mon cœur s’en va-t-il au loin en vain » ?
Il dit : « Le cœur nous appartient. Il est notre Chevalier.
Il s’en va combattre toutes les fausses pensées.
Partout où il s’en va, la félicité l’accompagne.
Ne dis rien. Laisse-le s’en aller où il veut.
Parfois, pareil au soleil, il devient un trésor pour la terre.
Parfois, comme la prière du Prophète, il monte vers le ciel.
Parfois, il déverse le lait de la générosité par le sein du nuage.
Parfois, il se promène dans la roseraie de l’âme, telle la brise matinale.
Suis les traces du cœur, afin de découvrir ce qui est caché :
La verdure et la rose poussent, le fleuve de la fidélité coule ».
Celui qui octroie au monde la forme est pur et sans forme.
Celui qui créé toutes les apparences est lui-même sans apparence.
Il est la perfection des perfections, bien qu’il semble commettre des fautes ;
Il est la fidélité des fidélités bien qu’il exerce une tyrannie.
Le cœur est comme une ouverture, la maison est illuminée par lui.
Le corps va vers l’anéantissement, le cœur va vers la pérennité.
Le cœur a causé des troubles, il a versé le sang des rois.
Il s’est mêlé à tout, bien qu’il soit séparé.
C’est lui qui a créé la magie divine, apparente dans le cœur de chacun.
Il a dépouillé les Gémeaux, il s’insinue comme Sohâ.
O mon cœur, c’est une sottise que de prendre garde à sa bourse :
La fortune s’est envolée, et la vie s’en va suivre le larron.
J’ai dit : « Tu es un magicien ». Il rit légèrement, et dit :
« Comme la magie opérerait-elle en présence de la mémoration de Dieu » ?
Je dis : « C’est vrai. Mais ta magie est le mystère de Dieu.
Ton heureuse magie accompagne l’ordre du destin.
L’amant a toujours des aventures de cœur et d’âme :
Il est dépouillé de tout. Voici qu’il marche devant toi.
C’est le cheval qui porte l’eau, celui-ci ; c’est le son de la clochette, celui-ci.
C’est en criant au-dehors de la maison qu’arrive le cheval porteur d’eau.
Ode du poète mystique soufi, Rûmî
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